Affaire Alia Bouklachi, le résumé du procès du 26 novembre 2019 à Annecy

La France a vraiment reconnu l’enlèvement d’Alia Bouklachi en tant que tel lorsque mes plaintes ont été prises en compte. Elles ont donné lieu à une recherche du père, puis à son arrestation le 14 juin 2019. S’en est suivie une garde à vue, puis une mise en détention provisoire.

Jusqu’au jour J, le jour du procès, le 26 novembre 2019. 

Il s’agissait d’une audience correctionnelle, au tribunal d’Annecy. Les chefs d’accusation étaient soustraction d’enfant des mains de ceux en charge de sa garde et rétention hors de France. Il s’agissait par ailleurs de faits commis depuis le 4 décembre 2016, jusqu’au 14 juin 2019 (date de l’arrestation du père en France).

Je me suis constituée partie civile dans cette affaire, avec l’aide de mon avocate.

NB : Si vous avez besoin de plus d’info sur les termes juridiques employés, vous pouvez vous référer à cet article 🙂

L’arrivée au tribunal

Je me suis donc rendue, le 26 novembre 2019 au matin, au tribunal d’Annecy. Il y avait un premier jugement en cours dans la salle, et nous passerions en fin de matinée.

Je me présentais au tribunal, accompagnée de ma famille et de mon avocate. Le premier procès commençait à s’éterniser. On nous signale finalement que le procès aura plutôt lieu après la pause méridienne.

Et la question que tout le monde se pose pendant cette intermittence est : pourquoi l’avocate de la défense n’est-elle pas encore là? Le procès a plus de 2 heures de retard, mais pas de nouvelles de l’avocate. Les services de l’avocat commis d’office ont été refusés, le prévenu a donc bien choisi lui-même quelqu’un d’autre ; mais pourquoi n’est-elle pas là ? Le père aurait-il « oublié » de régler ses honoraires pour les audiences précédentes, devant le juge des libertés ? Ou bien aurait-il plutôt refusé ses services ? On ne saura jamais.

Toujours est-il que lorsque le procès commence, le père n’est accompagné que de son escorte pénitentiaire. L’avocate ne se présentera jamais. Le prévenu ne répondra pas à la juge lorsqu’elle lui demandera pourquoi il est seul. Il ne fera que hocher la tête mollement en comprenant qu’il devra se représenter seul ce jour-là. Il confirme qu’il parle couramment français, et n’a pas besoin d’être accompagné d’un interprète.

Ca y est, le procès a débuté.

Le procès

De mon banc de la partie civile, je revois l’homme qui a enlevé ma fille, pour la première fois depuis des mois. Il a clairement pris du poids, il est flasque, bedonnant. L’autre chose qui me frappe, c’est son air perpétuellement hébété. Il regarde la cour d’un oeil vide, avec zéro tonus. « On dirait un drogué », me dis-je à ce moment-là.

Il a fait tout ça pour finir comme ça? La belle affaire ! Enlever une enfant, son enfant, se mettre la justice de 2 pays à dos…pour en arriver là?

Bref. Il doit parler. Que souhaite-t-il faire savoir à la cour? Etonnamment…pas grand chose en rapport avec l’enlèvement. Il ne se défend pas, il utilise ce procès pour faire MON procès. Tout son temps de parole va se perdre en accusations contre moi, sans résultats. Je ne suis accusée de rien, je suis partie civile. Même s’il était en mesure de prouver que je suis responsable de tous les maux de la Terre, ça ne changerait rien. C’est son procès, pas le mien.

Je suis étonnée par le calme et la patience dont font preuve les membres de la cour. Des questions sont posées au prévenu, pour lui faire comprendre qu’on aimerait bien en savoir un peu plus sur l’enlèvement d’Alia, très poliment, très posément.

On finit par avoir sa version : Il n’a pas eu le choix. Tout est de la faute de la mère (et puis de toute façon, elle n’aurait porté plainte que pour le voler !?! ) Pauvre Calimero.

La cour me propose de m’exprimer. Je me rends au pupitre.

Je trouve honteux d’être attaquée de cette façon par la défense, alors que j’ai fait tellement de compromis dès le début pour qu’Alia puisse voir son père. Je n’aurais soi-disant rien fait pour voir ma fille? Qu’à cela ne tienne. J’explique à la cour tout ce que j’ai fait depuis l’enlèvement d’Alia Bouklachi pour la retrouver. Les discussions avec les associations, les ministères, les bureaux, les gendarmes. Les recherches que j’ai faites de mon côté. Et surtout, surtout, tous les jugements que j’ai demandés, toutes les audiences auxquelles je me suis rendue, en France comme en Algérie. Toutes les démarches juridiques que j’ai entreprises, ça parle à la cour, ils savent à quoi ça sert, combien de temps ça prend, quel résultat ça donne ou ne donne pas. Et ça, la défense n’y peut rien, parce que la seule personne là-bas qui peut avoir une idée de ce dont je parle, c’est l’avocate, et elle n’est pas présente. 

La procureur s’exprime. Elle connaît le dossier sur le bout des doigts, elle sait exactement ce qu’il en est et ne se laisse pas amadouer par les mensonges grossiers de la défense. Elle est implacable. Elle requiert 3 ans de prison ferme et une amende, « pusiqu’apparement il a tellement d’argent ! »

Mon avocate aussi, qui me suit depuis que je suis arrivée à Annecy, connaît le dossier par coeur. Elle me conseille depuis de longs mois, me suit dans les méandres juridiques d’une affaire compliquée : un enlèvement parental international. Elle est parée, et se montre elle aussi intraitable.

La défense a évidemment le dernier mot. Le prévenu s’en sert pour bafouiller une bêtise (je ne me rappelle même plus quoi !)

La cour, devant tant d’inepties, essaie de le guider, et lui demande s’il a conscience de ce qu’il fait à sa propre fille, et s’il compte la ramener en France, comme l’y obligent le jugement français ET le jugement algérien. Et cette réponse-là, je m’en souviens :

« Oui je sais que maintenant ma fille est bien détruite. Elle va souffrir tellement elle est bien détruite. Mais je ne vais pas la ramener. Je refuse d’appliquer le jugement. »

La cour se retire pour délibérer.

Le délibéré

Comme le prévenu est en détention provisoire et escorté, le délibéré se fait le jour-même. La cour revient. Je suis fébrile. J’ai besoin de temps pour récupérer ma fille, et ce temps, c’est la justice française qui peut me le donner. Tant qu’il est en prison en France, j’ai la voie libre pour faire mes recherches, pour ramener Alia en France. J’attends le jugement à la fois avec l’espoir qu’il prendra un an (mais 2 ça serait mieux !) et la peur qu’il écope de sursit, ou de juste quelques mois.

Le Tribunal Correctionnel d’Annecy reconnaît coupable le père d’Alia Bouklachi des faits de « soustraction d’enfant des mains de ceux qui en ont la charge et rétention hors de France ».

La partie civile (plus haut accusée d’en vouloir aux précieux dinars algériens du prévenu) a demandé 1 euro symbolique de dommages et intérêts. Le tribunal condamne le père au versement de cet euro au titre du préjudice moral, outre le versement de la somme de mille euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale (qui sont supposés couvrir les frais de justice).

Je regarde pour la dernière fois l’homme qui a enlevé ma fille. Je le connais par coeur, je lis en lui comme dans un livre ouvert : il est étonné du verdict. Il ne s’y attendait pas. Moi non plus à vrai dire, 3 ans ferme, c’est formidable. Mais lui, il pensait sortir libre. La juge lui demande s’il a compris sa peine. Je ne me rappelle pas de ce qu’il a bafouillé en réponse, tant sa posture parlait pour lui. Il a perdu un procès qu’il pensait gagné d’avance, pour lequel il était tellement confiant qu’il s’est dit qu’il gagnerait sans avocat. Il a perdu et il n’y croit pas encore.

Je quitte le tribunal avec le sourire. Malgré toutes les horreurs que j’ai entendues aujourd’hui à mon sujet, au sujet de ma famille, de mes amis, de ma fille même !, un poids s’est enlevé de mes épaules. Ce soir-là, je vais me coucher dans mon lit, en pensant à ce monstre, qui, lui, fera une nuit de plus en prison.

Bien évidemment, il fait appel. Mais il perd de nouveau, et est maintenu en détention. Un juge des libertés lui accordera des remises de peine. A l’heure où j’écris ces lignes, les 3 ans ferme se sont transformés en 2 ans et quelques jours.

Mais la Justice française n’a pas encore tout à fait abandonné Alia. Il se trouve que les faits reprochés à son père sont relatifs à une infraction continue. J’ai donc porté plainte pour ces mêmes faits, et un procès en récidive arrive à grands pas.

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Article initialement posté le 26/06/2021

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